Dernières lectures et coups de coeur

Découverte de cet auteur grâce à ce très bon roman qui raconte les interrogations d'un "rancher" noir installé dans le Grand Ouest américain, éleveur et dresseur de chevaux, écouté par ses collègues blancs. Il s'est créé un modus vivendi depuis la mort tragique de sa femme, se concentrant sur son exploitation, respectant les rythmes de la nature, se protégeant des rapports trop directs avec les humains ; il se retrouve confronté, à cause d'un fait divers, à l'homophobie, au racisme, aux micro-sociétés extrémistes et impliqué malgré lui dans un combat pour plus de justice, d'honnêteté. L'écriture est à la fois limpide et subtile, la vulnérabilité humaine est rendue avec simplicité et justesse et nous nous prenons à réfléchir avec John Hunt à tout ce camaïeu de sentiments qu'il faut affronter pour vivre en accord avec soi-même.

Dans le même contexte géographique que le précédent, ou quasi, voici un premier roman policier d'un écrivain du Montana. Le héros, pêcheur à la mouche invétéré, au passé chargé de footballeur, puis sniper lors de la première guerre en Irak, s'est retrouvé totalement désemparé lors de son retour au pays et a radicalement changé sa façon de vivre pour se tourner vers la nature. Il est donc devenu guide de pêche pour trouver l'oubli et l'apaisement. Seulement, dans cette immense propriété du Montana, dont le propriétaire est un parvenu de la Côte Est aux yeux des autochtones, il se retrouve au premier plan d'une affaire criminelle qui le conduira à subir interrogatoires et exactions de nombreux groupes activistes extrémistes, tous plus véreux les uns que les autres. Cette découverte de la société de l'Ouest Américain est la continuité de ce que nous approchions dans le roman de Everett, et nous amène à bien des interrogations quant à la violence, au racisme et à la bêtise. Heureusement les paysages du Montana sont un heureux contre-point et la pêche à la mouche fait rêver.

Pour clôre cette sorte de cycle de l'Ouest et du Nord du continent américain, je propose ce récit de Pete Fromm qui m'a emmenée le temps d'un hivernage dans les Rocheuses aux côtés de l'auteur qui raconte ici une expérience de jeunesse, décidée sur un coup de tête et qui se révéla être déterminante dans sa vie et ses orientations. Le jeune étudiant Fromm décide que les études ne le satisfont pas pleinement et répond comme par jeu à une proposition de devenir garde d'un réservoir de "bébés" saumons au coeur des Rocheuses : -40° l'hiver, neige, glace, solitude, camping improbable sont à la clef. Nous allons vivre avec lui ces sept mois d'hivernage et le talent du conteur est tel que nous sommes confrontés avec lui à son inexpérience de la vie sauvage, ses angoisses, ses bonheurs aussi et surtout son osmose grandissante avec cette nature immense et somptueuse. A la fin de l'histoire nous nous retrouvons quasi aussi désaccoutumés que lui de la vie en société et il reste une subtile absence de ce moment privilégié que nous venons de vivre.

De retour en France, dans le Jura plus exactement, nous ne quittons cependant pas les temps hivernaux. Une nuit de Saint-Sylvestre particulièrement froide où la neige envahit le paysage de cette vallée du Jabron (Jura), le gel rendant les sons très purs, les repères disparaissant, nous allons suivre le héros dans une marche improbable à la rencontre de son fils adoptif. André Bucher nous emmène bien loin, une fois encore, et les images défilent au rythme de la marche difficile dans ces congères qui masquent les chemins bien connus, conférant un autre regard sur la vie quotidienne. Cette marche quasi insensée entraîne chez son personnage des pensées mosaïques où l'introspection et la réelle écoute de soi amènent à l'essentiel, conduisant à une approche épurée de ce bilan de vie qui s'impose à cet homme, âgé de la soixantaine. Un bonheur de lecture une fois encore, un moment privilégié pour se ressourcer et nous aussi nous poser le temps d'une réflexion sur la nature et nos rapports à elle et aux autres.