MALADIE BENEFIQUE
LES POEMES CONTAGIEUX
Un mal déplorable affecta la ville. Les poètes étaient nombreux. Leurs poèmes les cernaient, les investissaient, s'installaient et s'imprimaient sur leurs faces. Ils déambulaient avec. Tous les habitants de la ville pouvaient les lire. Intrigués, ils les lisaient. C'est alors que s'étendit le mal. Car aussitôt le visage du lecteur muait, devenait comme feuille de parchemin bosselée que noircissaient les mots du poème. La ville fut contaminée. L'ordre perturbé. Le travail ralenti. On s'arrêtait pour lire sur le visage de l'autre quel poème avait surgi. Sans compter son apparence dénaturée. On sévit. On emprisonna les poètes. On déchira leurs poèmes. On les condamna à des travaux harassants qui dessechaient l'inspiration. Alors lentement l'ordre revint dans la ville. Les visages redevinrent des visages sans poèmes. Mais parfois avec quelque poésie.
Guy LEVIS MANO
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Edition Folle Avoine